Il y a 95 ans à Bernolsheim….

Il est de nouveau question ces derniers temps, dans la presse régionale ou nationale, de commémoration, de souvenirs, de monuments aux morts, ceci en lien avec la grande guerre ou la première guerre mondiale, et par rapport à notre spécificité alsacienne, de francophilie et de germanophobie mais aussi de germanophilie et de francophobie.

Essayons de savoir ce qu’il en était il y a 95 ans à Bernolsheim. Quelle pouvait être l’ambiance ici à ce moment historique du retour de l’Alsace à la mère patrie ? Pouvons-nous ici et maintenant, ressentir ce qu’éprouvaient les Bernolsheimois d’alors ?

L’outil qui nous servira à essayer de ressentir cela est un « Verkündigungsbuch » trouvé dans les archives de notre presbytère. Ce livre manuscrit servait pour les annonces hebdomadaires en rapport avec la vie paroissiale, les thèmes du sermon du dimanche et les intentions de messes qui avaient lieu tous les matins. Il couvre la période du 07 décembre 1918 au 12 avril 1925.

Au milieu de toutes ces annonces écrites exclusivement en « Hochdeutsch » avec des bribes de latin, nous trouvons une double page écrite en français. Le curé de l’époque Hippolyte OTT a écrit de sa propre main dans son « Verkündigungsbuch » un passage absolument inédit intitulé 1918 – des journées mémorables.

Voici textuellement ce qu’il a écrit d’une belle écriture lisible.

Samedi 05 octobre : Proposition d’un armistice et d’une conférence pour la paix faite au Président des Etats-Unis, M. WILSON par le chancelier de l’empire allemand, le Prince Max de BADE.

Les premiers jours de novembre : Constitution de l’autonomie pour l’Alsace-Lorraine. Monsieur SCHWANDER, Maire de STRASBOURG est nommé Statthalter d’Alsace-Lorraine. Monsieur le Député HAUSS, Secrétaire d’Etat….d’un jour peut-on dire.

Le 11 novembre : Signature de l’armistice, désastreuse pour l’Allemagne. L’Allemagne entière en révolution. Abdication de l’Empereur et des Princes des Etats Germaniques. L’Empereur Guillaume II prend son refuge en HOLLANDE.

Le jeudi 21 novembre : Prise de possession de STRASBOURG par les Français.

Les jours précédents : Départ des Allemands en débandade.

Le dimanche 17 novembre : Entrée des troupes françaises dans METZ, SAVERNE, COLMAR et MULHOUSE.

Le vendredi 22 novembre : Entrée des troupes françaises à STRASBOURG, BRUMATH, BERNOLSHEIM, HAGUENAU. Général GOURAUD et Général RAMPONT.

Lundi le 25 novembre : Entrée à STRASBOURG du Général PETAIN et revue des troupes sur le Kaiserplatz devenu Place de la République.

Mardi 26 novembre : Réception des généraux à la cathédrale et TE DEUM (*3).

Mercredi 27 novembre : Entrée du Généralissime FOCH à STRASBOURG. Parade à l’Esplanade.

Jeudi 28 novembre : Réception du Général FOCH à la cathédrale. Discours et TE DEUM. Réponse du Général FOCH « Je suis venu pour remercier Dieu ».

Lundi 16 décembre à 9h00 du matin à BERNOLSHEIM : Grand’messe solennelle pour les soldats morts pendant la guerre. Toute la paroisse assiste à la cérémonie comme aux jours de dimanche.

Fin des journées mémorables. Le recueil continue avec les annonces de messes et autres annonces paroissiales comme auparavant en Hochdeutsch mêlé de latin, toujours la même écriture bien lisible.

Une année plus tard, nous lisons en allemand :

Abschied des Herrn Pfarrers OTT Hippolyt.

Mittwoch den 12. November 1919 um 9 Uhr morgens verabschiedete sich Pfarrer OTT von der Pfarrei Bernolsheim, nach einem schönen Lied vorgetragen durch den Chor der Kirchensänger und einer Ansprache des Herrn Pfarrers. Eine muntere jungendliche Reiterschaar gab ihm das geleite bis einer strecke weit des Dorfes. Sie ritten dem Automobil voran in welchem neben dem Herrn Pfarrer Herr Bürger meister MATHERN Joseph Platz nahm. Bei seinem Weggang läutete die einzige Glocke (*1) des schmücken Kirchturms (*2) und schien ihm zuzurufen: Lebe Wohl ad multos annos im verdienten Ruhestand zu Haguenau ______ Herr Pfarrer OTT verwaltete die Pfarrei Bernolsheim während  11 Jahren und 3 Monate in den schwierigsten verhältnissen von 4. August 1908 bis 12. November 1919. Vivat in Pace (*3).

A travers ces quelques lignes, on peut retenir et surtout ressentir ce qu’éprouvait ce sympathique curé de campagne et on peut en déduire qu’il était un fervent francophile. On peut aussi penser qu’à travers lui la population de Bernolsheim était francophile. Un chargé des âmes à cette époque a forcément eu un impact certain sur ses ouailles. Il a dû vivre ces journées mémorables comme une véritable libération.

La suite de l’histoire paroissiale est un peu moins reluisante. Son successeur, le Curé Gustave KLERLEIN me paraissait beaucoup moins sympathique. C’était un germanophile avéré, pour preuve, la suite du « Verkündigungsbuch » devient pour moi ardu et illisible et est écrite en « Sütterlinschrift » et pourtant nous sommes dans la période française, mais ça c’est une toute autre histoire.

En conclusion, nous pouvons retenir qu’à Bernolsheim, comme majoritairement en Alsace, nous étions allergiques à l’autoritarisme allemand de cette époque et comme le curé Hippolyte OTT avec lequel nous étions en symbiose, nous étions francophiles et germanophobes. Après cette incursion dans le passé, retenons surtout que nous avons une chance inouïe de vivre dans une Alsace qui n’a plus à prouver son patriotisme, dans une France laïque, républicaine, et pourtant fille aînée de l’Eglise ; et surtout, avec nos cousins allemands, dans une Europe pacifiée et quoi qu’en disent et pensent certains, berceau du Christianisme.

Xavier MATHERN

 

Mes sources : - « Verkündigungsbuch 7. VII .1918 bis 12 .IV. 1925 »

  • Tradition orale
  • « Bernolsheim à travers le XXème siècle mémoire de vie – Carré Blanc STRASBOURG 1999 »

*1 : A ce moment, il n’y avait qu’une cloche puisque les Allemands avaient réquisitionné les autres avec 50 kg de tuyaux d’orgue pour l’effort de guerre ; les Allemands de la 2ème guerre mondiale ont refait la même chose mais sans les tuyaux d’orgue.

*2 : Il est tout neuf ; 12 ans d’âge.

*3 : Le Te Deum est l’hymne chrétien de louanges à Dieu et d’action de grâce par excellence.

Traduction de la partie allemande :

Départ de M. le Curé OTT Hippolyte.

Mercredi 12 novembre 1919, à 9h00 du matin, le curé OTT prit congé de la paroisse de Bernolsheim après un beau chant interprété par le Chœur des chantres de l’église et une allocution de Monsieur le Curé. Une joyeuse équipe de cavaliers lui forma un cortège jusqu’à une distance éloignée du village. Ils chevauchaient devant l’automobile dans laquelle avait pris place à côté de Monsieur le Curé, Monsieur le Maire MATHERN Joseph. Pendant ce départ, l’unique cloche (*1) du magnifique clocher (*2) sonnait et semblait lui souhaiter : « Lebe wohl ad multos annos » dans la retraite bien méritée à Haguenau. Monsieur le Curé OTT administrait la paroisse de Bernolsheim pendant 11 années et 3 mois dans les pires conditions du 04 août 1908 au 12 novembre 1919. Qu’il vive en paix.